Conférence – mars 2019

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Les politiques carcérales françaises


Nouvelles prisons et inefficiences de l’investissement public.

Quelles marges de manœuvre pour l’Etat ?


Par Isabelle Leroux – Maître de Conférences – Université d’Angers – UFR Droit, Economie, Gestion
Membre du GRANEM – Groupe de recherche angevin en économie et management
Angers, le 02 mars 2019

Les politiques carcérales françaises font l’objet de nombreux débats : conditions de détention insalubres, surpopulation carcérale, controverses sur l’efficacité de la détention en matière de récidive, mise en question de la politique d’investissement de l’Etat dans l’immobilier carcéral (…). Au moment même où la politique de sur-détention est interrogée en France d’autres pays européens ferment leurs établissements carcéraux et l’Etat fédéral américain prend acte de l’échec des politiques massives d’enfermement.

Plusieurs programmes de construction de nouvelles prisons se sont succédé depuis les années deux-mille, dont l’ambitieux programme 13 200, avec à ce jour plus de 4 milliards d’euros investis pour construire de nouvelles prisons. Ces prisons de nouvelle génération ont été pour une grande majorité d’entre elles construites dans le cadre de partenariats public/privé, modèle apparaissant alors comme un levier d’efficience de la commande publique. L’efficience attendue portait tant sur la construction que sur l’exploitation des établissements carcéraux. Le rapport de la Cour des comptes paru en décembre 2017 intitulé « La politique immobilière du ministère de la justice : mettre fin à la fuite en avant », montre le caractère peu approprié de cette formule et le coût toujours croissant de ces prisons au regard d’une efficacité limitée. Le Ministère de la Justice a donc suspendu ce format public/privé pour les prochains programmes de construction. Par ailleurs, l’implantation des établissements dans des zones peu développées économiquement, voire parfois isolées, ne contribue pas à une bonne inclusion économique, sociale et environnementale. Toutefois, si la Cour des comptes évalue avec précision certains surcoûts générés, les sources de ces surcoûts sont plus difficiles à appréhender.

Nous posons ici le regard de l’économiste sur la politique carcérale et sur les sources d’inefficience de l’investissement public de l’Etat en la matière. Où ces inefficiences prennent-elles naissance ? De quelle(s) marge(s) de manœuvre l’Etat dispose-t-il ?  Cette conférence restitue les résultats de plusieurs années de travaux de recherche menés en lien avec le Ministère de la Justice et l’APIJ (Agence pour l’Immobilier de la Justice). Deux voies de lecture complémentaires sont proposées autour de l’implantation de ces nouvelles prisons : l’approche intra-établissement et les contrats de partenariats public/privé (PPP) ; l’approche par l’inscription territoriale et les inefficiences liées à l’absence d’un véritable ancrage socio-économique des établissements.

Pour ce qui concerne le premier volet, le recours au partenariat public/privé est au départ supposé assurer une meilleure efficience de la commande publique. Le consortium créé pour réaliser le financement, la conception, la construction et l’exploitation de la prison s’appuie sur deux principes majeurs : le groupage des tâches (conception, construction, exploitation et multi-services) et la propriété privée de l’équipement. Toutefois, ces PPP ne produisent pas l’efficience attendue. L’Inspection générale des finances et la Cour des comptes montrent l’ampleur des surcoûts générés (voir Rigamonti et Leroux, 2018). Les raisons de cette inefficience tiennent tout d’abord à un environnement concurrentiel peu favorable, le passage de la commande publique classique au PPP conduisant à la formation d’un oligopole en capacité d’extraire une rente. Ensuite, le consortium signataire du contrat est imparfait et ne génère pas les incitations attendues en matière de maintenance et de qualité des services aux détenus.

Le deuxième volet tient aux modalités d’implantation de ces établissements et plus spécifiquement à l’absence d’un réel ancrage, notamment en matière d’emploi. Certains maires souhaitent l’implantation d’un établissement carcéral sur leur commune, mais ce souhait n’est pas toujours partagé par la population locale. Ils ont tendance à influencer les représentations sociales que la population peut se faire de la prison en la présentant comme une quasi-entreprise susceptible d’être vecteur de développement économique. Associée à des micro-localisations éloignées de marchés de l’emploi dynamiques et isolée par des aménagements et des discontinuités paysagères,  la prison est réifiée en objet spatial géographiquement relégué d’une part, et en objet purement économique d’autre part, occultant son volet social. Ceci conduit à des ambivalences préjudiciables à la fois pour les communes d’accueil et pour la réinsertion des détenus.

Les marges de manoeuvre pour l’Etat sont toutefois assez limitées pour le premier volet, d’un travail visant à renforcer la complétude des contrats et les systèmes d’enchères à l’abandon des PPP, comme c’est le cas aujourd’hui, au profit de marchés de conception réalisation. Pour ce qui est de l’inscription territoriale des établissements, la marge de manœuvre est très certainement plus large. L’intégration de la prison dans un projet de territoire semble être la condition nécessaire à une politique de réinsertion réussie. Il s’agit là d’initier une politique de construction de compétences fondée sur les spécificités socio-économiques locales (ex. les liens entre les prisons toulousaines et le pôle aéronautique). Cela suppose la mise en œuvre et l’anticipation de partenariats avec les élus locaux non seulement de la commune d’accueil mais de l’ensemble du territoire urbain.


Bibliographie

Leroux I., Rigamonti E. (2018), L’inefficience des partenariats public/privé appliqués aux prisons françaises, Revue d’Economie Industrielle, 162.

Leroux I., Rigamonti E. (2017), Pour une lecture institutionnaliste de l’acceptabilité locale d’un établissement carcéral. Ambivalences économiques et relégation spatiale, Economie et Institutions, 25.

Leroux I., Rigamonti E. (2017), L’intégration territoriale des nouvelles prisons en question. Une lecture par les proximités. Contributeurs du Livre Blanc sur l’immobilier pénitentiaire “Intégration territoriale, économique, sociale et environnementale”, Ministère de la Justice, Paris, 10 mars. Restitution du Livre Blanc à la Chancellerie, Paris, le 4 avril.

Leroux I., Rigamonti E. (2015), Un nouveau modèle économique pour de nouvelles prisons, in Cholet D. (sous la Direction de) Les nouvelles prisons, enquête sur le nouvel univers carcéral français, Presses Universitaires de Rennes, Collection Essais, juin.

Leroux I., Rigamonti E. (2015), Construction et gestion matérielle des nouvelles prisons : impacts de l’implantation d’une prison sur sa commune d’accueil, in Cholet D. (sous la Direction de) Les nouvelles prisons, enquête sur le nouvel univers carcéral français, Presses Universitaires de Rennes, Collection Essais, juin.

Cholet D., Les nouvelles prisons : regards pluridisciplinaires, Rapport pour le Ministère de la Justice, juillet, Paris.


Presse :

Leroux I. (2018), Interviewée par Julie Clair-Robelet, “La prison doit être pensée au sein d’un projet de territoire”, La Gazette des Communes, 2 mai.

Leroux I. (2017), Interviewée par Yann Thompson, “Pourquoi certaines communes rêvent d’accueillir une prison et d’autres en font des cauchemars ?”, Francetvinfo.

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